Crac des Chevaliers/Hisn al-Akrad/Qal’at al-Hosn
Localisation : sur les contreforts sud du Jabal Bahrâ, à mi-chemin entre Tartûs et Homs.
Réf :
Berchem/Fatio (1913), p.135-163
Berchem/Sobernheim (1909)
Cathcart-King (1949), p.83-92
Deschamps (1934)
Mayer (1933), p.108
Meinecke (1992), 4/151, 7/29, 9B/19
Rey (1871), p.39-67
Berchem/Sobernheim (1909), n°4, 5, 6, 7, 8, 9,
8a
RCEA 4623-26, 4762, 4857, 5135, 6014
Historique
Le Crac des Chevaliers est implanté sur une assiette rocheuse au sud du Jabal Bahrâ (ill.2), sa position stratégique permettait de surveiller la principale voie de communication entre la côte syrienne et l’intérieur du pays, cette voie est connue sous le nom de Trouée de Homs. Le château surplombe aussi la vallée de la Boquée/Bekaa.
Périodes antérieures
Le site est déjà occupé avant 422/1031[1] quand l’émir de Homs Shibl al-Dawla Nasr ibn Mardas installe un groupe de Kurdes, le site est alors mentionné sous le nom de Hisn al-Akrad (château des Kurdes). De cette position forifiée, il ne reste rien. Le site subit une première attaque des Francs en safar 492/janvier 1099, mais il ne restent pas longtemps sur place, et les Seljukîdes reprennent possession du site, jusqu’à la conquête de Tancrède, Prince d’Antioche, en 503/1110, finalement deux ans plus tard le Crac est intégré au Comté de Tripoli. En 536/1142, le comte de Tripoli Raymond II donne le château aux Hospitaliers, qui vont entamer un important programme de fortification du site pour en faire leur base de commandement pour la région. Ce long programme se déroule en trois phases (ill.5) :
La première phase (536/1142- fin 12e) : construction du château haut de plan polygonal avec une enceinte double formant une galerie de circulation continue, des tours rectangulaires TW, TN (ill.31), TNE, et des bâtiments à fonction résidentielle, religieuse et défensive. L’entrée du site se faisait à l’est par la porterie au niveau du bâtiment I (ill.5, état 1).
Cette phase de construction connaît des perturbations suite aux deux grands séismes qui secouent la région en 552/1157 et 565/1170.
La deuxième phase (fin 12e – début 13e) : construction d’une nouvelle muraille à archères qui entoure la double enceinte précédente (les deux sont séparées par une gaine de circulation), pose d’un glacis défensif sur les pentes sud et ouest (ill.26, 27), élévation de la tour pentagonale TA au sud-est (ill.25) et d’un donjon formé des trois tours TSW, TS, TSE, au sud (ill.5, état 2).
La troisième phase (13e) : extension des bâtiments de vie et de défense, nouvelle enceinte avec tours semi-circulaires au-delà du fossé, des écuries au sud (ill.41), et une nouvelle tour-porte T01 avec rampe sur le front est (ill.5, état 3).
Les Hospitaliers vont conserver le château jusqu’en 669/1271. Durant cette longue période ils feront face, avec succès, à plusieurs raids musulmans dont ceux de Nûr al-Dîn (558/1163), Saladin (584/1188) et Baybars lors de sa première tentative (668/1270). Ils effectueront aussi de nombreuses sorties et razzia dans la région du Crac.
Période Mamluk
A partir de 664/1266, le sultan al-Zâhir Baybars entreprend une vaste campagne de reconquête du Comté de Tripoli, il assiège, prend et fait restaurer les forteresses alentours[2]. Après quelques raids infructueux et intimidations autour du Crac, il décide finalement de l’attaquer. Le 9 rajab 669/21 février 1271 le sultan arrive au pied de la forteresse à la tête d’une imposante armée composée de troupes venant de Hama, Sahyûn et des territoires Isma’iliens. La première opération consiste à prendre les faubourgs du château (c'est-à-dire le village) ceux-ci tombent le 20 rajab/4 mars. L’assaut des troupes commence et la première bashura, probablement un ouvrage fortifié avancé entre le château et le village, est conquise le 25 rajab/9 mars. La deuxième phase du siège consiste à assembler les machines de tir et de commencer le bombardement du château lui-même, et le 7 sha’ban/21 mars la deuxième bashura, située sur un promontoire rocheux au sud, tombe. La troisième phase voit la poursuite des bombardements et l’intervention des sapeurs qui parviennent à pratiquer une brèche dans une tour permettant de suite l’infiltration des troupes, la troisième bashura (vraisemblablement deux fronts d’attaques simultanées) est prise le 15-16 sha’ban/29-30 mars. Après le percement de la brèche, les Hospitaliers se réfugient à l’intérieur du château haut (qulla), ils résistent quelques temps mais le sultan utilise une ruse pour les forcer à se rendre. Ces derniers demandent l’amân (reddition contre la vie sauve) et évacuent les lieux le 24-25 sha’ban 669/7-8 avril 1271[3].
Une fois la conquête achevée, le sultan Baybars reste quelque temps sur place, il nomme l’émir Sârim al-Dîn Qaymaz al-Kafarî comme gouverneur du site et ordonne immédiatement la remise en état du château. Ces travaux de restaurations sont confiés aux émirs ‘Izz al-Dîn al-Afram et ‘Izz al-Dîn Aybak al-Shaykh. Comme en témoignent les différentes inscriptions du château, ces travaux de grandes ampleurs, se poursuivront avec ses successeurs al-Malik al-Sa’îd Barakakhân et Qalâ’ûn.
Cette important campagne de restauration concerne principalement [4] :
Le front est fortement exposé aux bombardements : réparation et surélévation de la tour-porte T01 (ill.6), et des tours adjacentes T02 et T03 (ill.8, 9), renforcement, reconstruction et aménagement de la poterne nord, dite de Nicolas Lorgnes, et de ses tours T12, T13 (ill.20, 21, 22, 38).
Le front sud, très touché lui aussi par les bombardements : construction de la nouvelle tour semi-circulaire T04 (ill.10, 12), reconstruction de la tour T06 (ill.15) et amélioration du système de défense de la courtine C04/05, C05/06 (ill.11, 13). Ce front sud est complété en 684/1285 par l’imposante tour carrée T05 dite Tour de Qala’ûn (ill.13, 14).
Le front ouest, connaît des travaux limités avec la reprise des parties hautes des tours dont T07 (ill.16) et de la courtine C07/08 (ill.16, 17) notamment.
Enfin le château haut (qulla) épargné par les bombardements est aménagé avec la construction de bâtiments résidentiels et d’une zone de stockage (ill.36, 40), la courtine ouest est dédoublée et surélevée (ill.37), et la chapelle de la tour TNE est transformée en mosquée.
Durant le 14e siècle le Crac perd son caractère militaire au profit d’un rôle administratif pour la région, il est peu à peu transformé en un site palatial avec notamment la construction d’un hammam situé au sud-est du château.
Epigraphie
669/1271. Texte de construction 3 lignes sur les pierres de parements.[5]
« xxx
La réfection de cette forteresse bénie a été ordonnée sous l’empire de notre
maître le sultan al-Malik al-Zâhir, le savant, le juste, le champion de la foi,
le combattant, [l’assisté de Dieu], le victorieux, le vainqueur, Rukn al-dunyâ
wa’l-Dîn Abû’l-Fath Baybars, l’associé de l’émir des croyants, à la date du
jour de mardi 25 sha’bân de l’année 669 (8 avril 1271). »
669/1271. Texte de construction 2 lignes.[6]
« xxx
La réfection de cette forteresse bénie a été ordonnée par notre maître le
sultan al-Malik al-Zâhir Rukn al-dunyâ wa’l-Dîn Abû’l-Fath Baybars, l’associé
de l’émir des croyants, et par son enfant al-Malik al-Sa’îd Nâsir al-Dîn. Cela
(fut achevé) à la date du jour du mardi 25 sha’ban de l’année 669 (8 avril
1271) ».
669/1271. Texte de construction 1 ligne.[7]
« xxx La réfection de cette forteresse bénie a été ordonnée sous
l’empire de notre maître le sultan al-Malik al-Zâhir Rukn al-dunyâ wa’l-Dîn
Abû’l-Fath Baybars – que Dieu glorifie sa victoire ! – et de son héritier
présomptif le sultan al-Malik al-Sa’îd Nâsir al-dunya wa’l-Dîn. Cela (fut
achevé) à la date du jour du mardi 25 sha’ban de l’année 669 (8 avril
1271) ».
n.d. Inscription 1 ligne autour du pilier central de la salle de la tour T06 (ill.42).[8]
« xxx
Gloire à notre maître le sultan al-Malik al-Zâhir et que soit augmentée
l’existence de son enfant al-Malik al-Sa’îd, fils d’al-Malik al-Zâhir, le
savant, le juste, le champion de la foi, Rukn al-dunyâ wa’l-Dîn Abû’l-Fath
Baybars, l’émir des croyants ! »
677/1278. Texte de restauration 1 ligne sur les pierres de parements de la tour sud-est T04 (ill.12).[9]
« La
réfection de cette muraille a été ordonnée par le sultan al-Malik al-Sa’îd
Nâsir al-dunyâ wa’l-Dîn Abû’l-Ma’âlî Muhammad Barakat-Khân dans les mois de
l’année 677 (1278) ».
684/1285. Texte de restauration 2 lignes sur la tour quadrangulaire sud T05 (ill.14).[10]
« xxx
Cette tour d’heureux augure a été refaite durant les jours de notre maître le
sultan auguste, le seigneur, le savant, le juste, l’assisté de Dieu, le
champion de la foi, le guerrier, le combattant, le défenseur des frontières, le
vainqueur, le victorieux, al-Malik al-Mansûr Saif al-dunyâ wa’l-Dîn Qalâ’un
al-Sâlihî, l’associé de l’émir des croyants, que Dieu éternise ses jours et
secoure ses aides ! sa construction eut lieu en l’année 684 (1285) ».
701/1301. Texte de restauration 3 lignes sur les pierres du parements (ill.7).[11]
« Ce
saillant béni a été refait durant les jours de notre maître le sultan al-Malik
al-[Nâ]sir [Muha]mmad, fils du sultan martyr al-Malik al-Mansûr Qalâ’un
al-Sâlihî, l’associé de l’émir des croyants. Cela (a été achevé) durant les
jours de Sa haute Excellence le grand émir Badr al-Dîn Bîlîk al-Sadîdî,
lieutenant-général à Hisn al-Akrad la bien gardée, dans les mois de l’année 701
(1301-1302) ».
746/1345. Décret militaire du
sultan Sha’ban, 4 lignes dans les pierres de parements à l’entrée (ill.7)[12].
« (1) Au nom d’Allâh… A la date du 10 sha’ban vénéré de l’année 746 (6
décembre 1345) (2) de la noble hégire du Prophète, a été promulgué l’ordre de
notre maître, le très grand sultan, le souverain, al-Malik al-Kâmil Saif
al-dunya (3) wa’l-Dîn Sha’ban, fils du sultan martyr al-Malik al-Nâsir
Muhammad, fils du sultan martyr al-Malik (4) al-Mansûr Qalâ’ûn, que ses édits
ne cessent jamais d’être exécutés dans le monde, ni les nuées de leur
générosité de verser partout l’abondance ! (cet ordre prescrit) que la
totalité des armées victorieuses musulmanes, des émirs et des mamluk royaux,
des soldats dans les corps de la garde, des émirs concessionnaires (de terrains) et des hommes
de leur suite soient exemptés de la restitution réclamée, éventuellement, en
faveur du diwan florissant, à chacun d’eux séparément, de l’excédent de leur
solde, (excédent) correspondant à la différence, dans le nombre des jours de
révolution, (5) entre les années solaires et lunaires ; et que soit aboli
le recouvrement (de cet excédent), exercé auparavant par le diwan des armées
dans les provinces musulmanes, en sorte que le diwan des comptes n’aura plus
aucun droit d’ingérence dans les fiefs militaires des concessionnaires et que
tout ce qui était réclamé pour le diwan (c'est-à-dire pour le fisc, par la cour
des comptes), sur le règlement des comptes de gratifications, soit compris dans
cet acte de faveur (ci-devant mentionné). Cet acte implique un don, dont le
bénéfice s’étend aux grands et aux petits (c'est-à-dire aux officiers et aux
soldats) et cela sera une bone action, dont la récompense sera louée dans le paradis
et une belle institution qui méritera à son auteur la récompense, ainsi que la
récompense de ceux qui agiront conformément, jusqu’au jour du jugement. Et ceux
qui s’appliqueront à imiter cet exemple, qu’Allâh réalise en bien (6) leurs
pensées. Et si quelqu’un modifie ces dispositions après en avoir pris
connaissance, que son crime retombe précisément sur ceux qui les
modifieront ; et si quelqu’un y retranche ou cherche à y retrancher
quelque chose dans les cours des années, Allâh, qui est puissant et grand, sera
son adversaire, ainsi que son prophète Mahomet, le maître des envoyés ; et
il méritera la malédiction d’Allâh, des anges et de tous les hommes ; et
il subira la peine du péché par lequel il perdra la vie de ce monde et celle à
venir ; et c’est une perte évidente…. Et il est le meilleur des héritiers.
A l’époque du préfet général, sa très honorée et haute Excellence, le
gouverneur Saif al-Dîn Qamârî, fonctionnaire d’al-Kâmil, gouverneur du sultanat
royal dans les provinces conquises tripolitaines, que sa victoire soit
puissante ! »
Biblio complémentaire :
Vachon (1994), n°23
Rihaoui (1996)
Jawish (1999)
Biller (2000), p.
Vigouroux (2002)
Mesqui (2003)
Michaudel (2004), p.45-77
Michaudel (2004b), p.179-189
Zimmer
(2004), p.93-103
Zimmer
(2004b)
Meyer
(2004-2005), p.295-305
Boutros
(2005)
Jamous (2005)
Michaudel (2005)
Biller (2006)
Michaudel (2006), p.106-121
Zimmer (2006), p.359-373
Dotti (2007), n°18
Burger (2008), p.302-315
Zimmer (2011)
Zimmer (2011b)
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1/ vue aérienne du site Source : Google Earth |
2/ vue du Crac sur son plateau depuis le sud-ouest |
3/ vue du Crac depuis le sud-ouest |
4/ plan du château avec nomenclature |
5/ plan du château avec les 3 étapes de
constructions des Hospitaliers |
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6/ la tour-porte T01 sur le front est |
7/ inscriptions sur le parement du mur de la
tour-porte T01 |
8/ la tour T02 du front est |
9/ la tour T03 et son glacis sur le front est |
10/ l’angle sud-est avec la courtine C03/04 et la
tour T04 |
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11/ vue du front sud avec les tours T06, T05, T04 |
12/ la tour T04 du front sud avec l’ancienne entrée |
13/ une partie du front sud avec la tour T05 et le
château haut |
14/ la tour T05 du front sud dite Tour de Qala’ûn |
15/ l’angle sud-ouest avec la tour T06 et l’aqueduc |
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16/ courtine C07/08 et tour T07 du front ouest |
17/ courtine C07/08 du front ouest |
18/ vue du front ouest avec les tours T09, T08, T07 |
19/ tour T10 et courtine C10/11 du front ouest |
20/ la poterne nord avec les tours T13, T12 |
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21/ la poterne nord avec son système de défense
sommital |
22/ le front nord avec les tours T13 et T12 |
23/ le front nord avec la courtine C13/01 et la tour
T13 |
24/ rampe d’accès à l’intérieur du château depuis la
tour-porte T01 |
25/ la tour TA |
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26/ vue du château haut (qulla) depuis le sud-ouest |
27/ le talus du front ouest du château haut |
28/ le talus et le château haut depuis le sud-est |
29/ le birka au sud entre le château haut et le
front sud |
30/ la lice séparant le front ouest et le château
haut avec l’épaississement de la courtine C07/08 |
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31/ la tour TN dite Tour des Latrines |
32/ vue des bâtiments du château haut depuis le nord
avec en fond la façade de la tour TS et la tour TW à droite |
33/ vue des bâtiments du château haut depuis le nord
dont salle J |
34/ la cour du château haut depuis la terrasse de la
salle K vers le nord |
35/ terrasse de la tour TNE abritant la
chapelle/mosquée |
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36/ cour du château haut depuis le nord avec salle K
et façade de la tour TS |
37/ courtine CTW/TSW du château haut avec sa rangée
d’archères et sa galerie de circulation |
38/ la poterne nord depuis les terrasses |
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39/ façade de la salle J |
40/ salle K |
41/ les écuries sud (salle M) |
42/ la salle à pilier de la tour T06 avec
l’inscription de Baybars |
Documents anciens, récits
[1] Les sources mentionnent ce site sous le nom de Hisn al-Safh (château de la Pente).
[2] Sur le déroulement de cette conquête, voir notamment Michaudel (2005), p.322-404.
[3] Voir le déroulement et les interprétations du siège, in Michaudel (2004), p.45-77.
[4] Voir le détail des travaux, in Michaudel (2004), p.45-77 ; Michaudel (2005), p.441-460.
[5] Texte d’après RCEA 4623.
[6] Texte d’après RCEA 4624.
[7] Texte d’après RCEA 4625.
[8] Texte d’après RCEA 4626.
[9] Texte d’après RCEA 4762.
[10] Texte d’après RCEA 4857.
[11] Texte d’après RCEA 5135.
[12] Texte d’après RCEA 6014.