Château de Kozan/Qal’at Sîs
Localisation : au sommet d’un éperon rocheux, d’environ 300m de haut, dans la partie sud de la ville actuelle.
Réf :
Edwards (1987), p.233-237
Hellenkemper (1976), p.202-213
Historique
La forteresse est perchée sur un éperon rocheux orienté nord-sud. Le circuit du mur d’enceinte s’étend sur plus de 3 km, en suivant et en profitant parfaitement la topographie accidentée du site, cette forteresse tout comme la plupart des sites fortifiés de Cilicie est visible depuis d’autres forteresses dont Tumlu ou Anavarza par exemple. Aujourd’hui le site est accessible par une route en lacet sur le versant est, à la base on trouve les ruines de l’ancienne résidence royale (tarbas), dont il reste deux tours et des pans de murs[1].
Le site est très étendu en surface et difficilement lisible, il a été divisé en plusieurs plateaux (ill.1)[2] :
La partie sud ; avec l’extrémité sud, le plateau sud-est, l’éperon sud-ouest.
La partie centrale ; avec le plateau central est, le plateau central ouest, l’éperon central.
La partie nord ; grande étendue au nord.
Les principaux éléments défensifs se situent à l’est face à la ville (ill.14-17), le front ouest est suffisamment protégé par l’escarpement du rocher (ill.13). Aujourd’hui l’intérieur du site est parsemé de ruines et de bâtiments mutilés, il devait abriter des chapelles, de nombreuses citernes, des habitations et résidences, des poternes permettaient d’accéder aux autres plateaux (ill.10). Ces plateaux semblent pouvoir être défendus indépendamment les uns des autres en cas d’attaque.
Périodes antérieures
Il n’y aucunes traces de fortifications avant les Byzantins, toutefois vers 704-705 une implantation grecque aurait repoussé une attaque des Arabes. Au début du 8e siècle, la forteresse fait partie des places fortes frontalières (thughûr) du califat Abbasside[3], et au milieu du 9e le calife al-Mutawwakil (r.847-861) fait reconstruire les fortifications byzantines. En 962 Nicéphore Phocas reprend la ville et la forteresse qui sombrent ensuite dans l’oubli pendant le siècle et demi suivant.
En 1113 le baron Rupenide Thoros Ier (r.1102-1129) prend la ville qui subit un séisme dévastateur l’année d’après, et en 1137 elle est à nouveau reprise par l’empereur byzantin Jean II Comnène (r.1118-1143) lors de sa campagne militaire en Cilicie et en Syrie du Nord. Mais avant 1172 les Arméniens ont récupéré le site et commencent la construction de la forteresse qui est mentionnée comme résidence royale dès 1177. C’est sous le règne de Léon Ier (r.1129-1140) et plus tard celui de Hethum Ier (r.1226-1269) que les principales constructions civiles et militaires sont élevées sur l’éperon rocheux[4] (ill.11, 23-25).
Période Mamluk
Avec les Mamluk, l’histoire du site se révèle mouvementée. La ville ainsi que la forteresse sont attaquées une dizaine de fois par les troupes des sultans mamluk : la première fois en 664/1266 pendant la campagne militaire du sultan al-Zâhir Baybars[5], puis à plusieurs reprises en 673/1274-75, 697/1298, 703/1304, 720/1320 et en 774/1375 où toute la Cilicie devient une province mamluk (niyaba).
Les réparations des dégâts, causés par cette série de raids sur la forteresse, ne sont pas spécialement visibles par rapport au reste de la maçonnerie arménienne, les Mamluk utilisant parfois des ouvriers arméniens pour restaurer leurs constructions[6]. Néanmoins on peut distinguer une phase de travaux spécifique aux Mamluk qui serait postérieure à 774/1375, si l’on tient compte de l’inscription mutilée qui surmonte l’entrée de la tour TA. Il est fort probable que la réorganisation de tout le bloc d’entrée soit l’œuvre des Mamluk (ill.18-22).
Epigraphie
n.d. Inscription mutilée sur la tour d’entrée de la forteresse (TA).
n.d. Inscription fragmentaire en arménien dans la tour maîtresse (T11)[7].
« Dans
l’année des Arméniens, ……le pays ?...... sous Héthoum roi. »
Biblio complémentaire :
Vachon (1994)
Raphael (2010)
Stewart (2001)
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1/ plan du site |
2/ vue de la plaine depuis le sud-est |
3/ la ville de Kozan depuis les tours T21 et T20 |
4/ une partie de l’enceinte sur le côté est du
plateau nord avec la tour T16 |
5/ une partie de l’enceinte du front est au niveau
du plateau central |
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6/ une partie de l’enceinte du plateau sud-est avec
la tour T03 |
7/ front est de la forteresse au niveau du plateau
sud-est |
8/ plateau sud-est avec les tours T05 et T04 |
9/ plateau sud-est avec la tour T05 et la courtine
percée d’archères |
10/ plateau sud-est avec la tour T03 et la poterne |
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11/ front est avec l’éperon sud-ouest |
12/ courtine et tours de la courtine centrale du
front est |
13/ front ouest avec l’éperon sud-ouest et la tour
maîtresse T11 |
14/ vue de l’enceinte du front est au niveau du
plateau central |
15/ front est avec les tours T21 et T20 |
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16/ enceinte du front est avec les tours T20 et T19 |
17/ enceinte du front est avec les tours T19 et T18 |
18/ le bloc d’entrée TB et TA |
19/ le bloc d’entrée TB et TA |
20/ vue de la salle TA vers l’intérieur |
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21/ vue de la salle TA vers l’extérieur |
22/ archères du mur gauche de la salle de la tour TA |
23/ l’éperon sud-ouest avec la tour maîtresse T11 |
24/ vue de l’éperon sud-ouest depuis le nord |
25/ vue de l’éperon central depuis le sud |
Documents anciens, récits
Alishan (1899), p.241-265
Barker (1853), gravure en frontispice
Lohmann (1905), p.3-12, photos
Langlois (1854), p.77-78
« De bonnes murailles, aujourd’hui ruinées, entouraient Sîs. Un château fort, construit sur le roc à pic qui la domine, est l’œuvre du Thakavor Héthum, ce que démontre un fragment d’inscription arménienne que j’ai lu dans l’intérieur de la grande tour. »
Langlois (1855), p.263-269 (séjour après le 20/11/1852)
« Le lendemain, (…), je partis pour Sîs, dont on apercevait au loin le château, bâti, comme un nid d’aigle, sur le pic le plus élevé des montagnes qui bordent l’horizon. »
Langlois (1861), p.381-387
« Le château couronne le rocher sur lequel il est assis. Il ne présente que quelques buissons brûlés par le soleil, et des herbes desséchées que broutent des troupeaux de chèvres et de moutons (…).
Sîs conserva sa priorité sur toutes des villes de la Cilicie jusqu’en l’an 1374, époque à laquelle les Egyptiens s’en emparèrent sur le roi Léon IV, et la détruisirent de fond en comble, après avoir renversé presque entièrement le palais des rois et démantelés les murailles du château (…).
Quatre jours après mon arrivée à Sîs, je me dirigeai vers le château, accompagné d’un évèque du monastère.
Après une marche de plus de deux heures, qu’une excessive chaleur et des rochers à franchir en suivant d’étroits sentiers bordés de précipices rendait aussi pénible que périlleuse, nous arrivâmes aux portes de la forteresse.
Comme tous les châteaux-forts du moyen âge, le Sîs-kalessi est abandonné. Les Turkomans, à certaines époques de l’année, font paître leurs bestiaux dans l’enceinte où ils trouvent de maigres pâturages.
Le Sîs-kalessi affecte une forme ovale ; il a trois portes, un même nombre d’enceintes, et renferme diverses constructions. En raison de la forme du rocher sur lequel il est assis, les murailles du château sont irrégulières et d’inégale hauteur ; des tours et des bastions flanquent la forteresse.
Par suite de l’irrégularité des constructions, le château se trouve divisé en trois parties et assis sur les trois principaux pics du rocher ; des espaces vides séparent ces constructions distinctes, mais qui cependant se lient entre elles et correspondent par des sentiers creusés dans le roc et bordant des précipices. Le côté sud, où se trouvait le donjon, résidence des premiers takavors Roupéniens, était fortifié avec plus de soin que les autres points de la forteresse.
Léon II, en réédifiant la ville de Sïs et en la couronnant d’un château-fort du plus difficile abord, avait compris que la sûreté de ses Etats dépendait du choix qu’il ferait du lieu de sa résidence. Les villes de Tarse, d’Adana, de Gorigos et de Mamesdia (Missis), situées dans la plaine, accessibles de toutes parts et exposées aux attaques des infidèles, ne pouvaient offrir au takavor les moyens de résister à ses redoutables ennemis. Sîs, au contraire, par sa position et les rochers qui lui servaient de ceinture, présentait aux envahisseurs musulmans d’immenses difficultés pour s’en approcher, et donnait aux Arméniens les moyens de leur opposer une énergique défense.
Léon II commança donc à élever le château de Sîs sur la crète du rocher qui domine la ville, tout en jetant les plans de la cité nouvelle, l’an du Christ 1186.
Le premier roi arménien de la Cilicie ayant laissé inachevée l’œuvre commencée, le soin de la continuer revint à l’un de ses successeurs, Héthoum Ier, mari de sa fille Zabel, qui monta sur le trône après la déchéance de Philippe d’Antioche.
Héthoum, selon toutes les probabilités, termina les travaux commencés par Léon, ainsi que semble l’indiquer une inscription, malheureusement mutilée, que j’ai copiée sur l’une des parois intérieures de la salle basse du donjon :
‘Dans l’année des Arméniens, ……le pays ?...... sous Héthoum roi.’
Quoique incomplète, cette inscription prouve que, dès le règne d’Héthoum, la construction du château était fort avancée ; que déjà le donjon pouvait servir de résidence aux rois d’Arménie et les mettre à l’abri d’un coup de main, dans le cas où les musulmans seraient parvenus à pénétrer au cœur du royaume et à assiéger le roi jusque dans sa capitale.
A côté du donjon, au nord, se trouve un escalier donnant accès à une citerne où se recueille l’eau des pluies, et à quelques pas de là est la porte d’un souterrain aujourd’hui comblé.
En continuant notre visite du château, nous remarquâmes, dans l’intérieur des fortifications élevées sur le deuxième pic, les ruines d’une chapelle dont la nef est encombrée de débris provenant de l’écroulement des murs et de la toiture.
La partie du château élevée sur le deuxième pic de la montagne paraît avoir plus souffert que les deux autres, pendant les différents sièges que les Arméniens eurent à soutenir contre les Seldjoukides de Konieh et les Mamelouks d’Egypte. En effet, on voit dans différents endroits des réparations très-imparfaites, exécutées à la hâte, sans le secours du ciment et du mortier ; elles consistent en moellons à peine dégrossis, et superposés par les assiégés dans le but de réparer les brèches pratiquées par l’ennemi. Ces réparations provisoires datent, sans aucun doute, des derniers temps de la monarchie arménienne, peut-être même du siège du château-fort par les Egyptiens, sous le règne de Léon VI de Lusignan.
En suivant l’étroit sentier qui conduit de l’enceinte des fortifications de ce dernier pic à celles assises sur le troisième, on trouve un petit réservoir d’une eau excellente qui, dit-on, reste toujours au même niveau, et à laquelle les Arméniens attribuent la vertu de guérir beaucoup de maladies. En poursuivant sa marche dans la même direction, sans s’écarter du sentier qui lie le deuxième pic au troisième, on arrive à une grotte, désignée par les habitants sous le nom de Guerchinlik (lieu des colombes) ; c’est une caverne sombre, humide et du plus triste aspect, où suinte une eau épaisse qui, pendant l’hiver, se convertit en stalactites que les premières chaleurs de l’été font disparaître. On ne voit point de colombes sur ce point, qui d’ailleurs ne présente rien qui puisse les y attirer.
Dans l’intérieur de chacune des trois parties de la forteresse, on remarque encore les restes de constructions secondaires, telles que prisons creusées dans le roc, magasins, casernes, etc.
Je n’ai trouvé, dans le Sîs-kalessi, aucune autre inscription arménienne qui pût me faire connaître les restaurateurs et les dates des constructions successives qui placèrent ce château au rang des forteresses les plus considérables du royaume d’Arménie, telles que celles de Pardzerpert, d’Anazarbe, de Lampron, de Gorigos et de Selefké, regardées comme imprenables au moyen âge, à cause de leur position sur des rochers à pic ou sur des écueils d’un abord dangereux. »
Chesney (1868), p.216 (séjour en février 1837 ?)
« The town contains about 1000 houses,
which are built round a remarkable rock already mentionned, which rises nearly
1000 feet above the plain. This curious position has been castellated and
strengthened with more than ordinary care, and its works indicate that this has
been done at two different periods – the earlier one having had reference to
bows and arrows only ; the latter consisting of walls flanked by round
towers, and adapted for musketry. »
Chantre (1898), p.169-170 (séjour entre avril et septembre 1893 ou 1894)
« La forteresse de Sîs, dont les murs couronnent la crète du rocher contre lequel est bâti la ville, a été regardée pendant longtemps comme inexpugnable. Et il n’est pas éxagéré de dire que, pour de simples touristes comme nous, l’escalade de ce dyke de 300 mètres à pic, exige un labeur des plus rudes. Sous la conduite d’un guide, nous nous engageons sur un sentier de chèvre à peine visible, où l’on risque à chaque instant de se rompre les os. La crète est couronnée de deux lignes de murailles épaisses, tourrelées et crénelées, percées de deux portes et pourvues de meurtrières. C’est une vraie forteresse du moyen âge, construite à grand appareil. Nous entrons par la porte principale, sous une voûte élevée, de quinze mètres de longueur, fermée par une seconde porte, aujourd’hui démolie, et qui donne accès à l’intérieur à l’intérieur de la citadelle. De cette crête on jouit d’une vue admirable sur le château, dont la masse principale se dresse sur une pointe de rocher. La silhouette de ces fières murailles se découpe sur un fond formée par les montagnes du Taurus, et l’on est saisi de l’effet grandiose d’un tel tableau. »
[1] Description de cette résidence, in Edwards (1982), p.155-176 + plan ; Edwards (1983), p.123-146 ;
Edwards (1993), p.181-249 ; le palais est à droite sur les 2 gravures de la ville.
[2] Voir aussi la nomenclature de Edwards (1987), p.233-237.
[3] Sur cette question, cf Amitai-Preiss (1996b), p.128-152, Bonner (1994), p.17-24.
[4] Une inscription mutilée dans la tour maîtresse ou donjon (T11) mentionne le roi Hethum.
[5] Thorau (1992), p.171-187.
[6] Sur la maçonnerie arménienne, cf Edwards (1987), p.18-25 ; Hanisch (2008b), p.448-455 ; Hanisch (2009) ; Hanisch (2010b), p.95-114.
[7] Texte d’après Langlois (1861).